Champs d'arbres
“C’est pas des forêts, c’est des champs d’arbres. Écoute, on n’entends pas les oiseaux, c’est une forêt morte”, souffle-t-il en regardant autour de lui. Depuis plusieurs années, Nicolas Henry parcourt pourtant inlassablement ces monocultures d’arbres Douglas pour les recenser. Dans ce coin du Morvan, « Grand Nico », comme l'appellent ses copains, est bien connu : il fait partie de la poignée qui, il y a dix ans, a commencé la lutte anti-monocultures dans ce bout de France recouvert de forêts.
Car dans cette enclave dépeuplée de Bourgogne, les parcelles en monoculture de Douglas se sont multiplient depuis les années 1960. Et leurs détracteurs accusent : elles remplaceraient peu à peu la forêt diversifiée.
De fait, à partir des années 60-70, nombre de propriétaires forestiers ont planté des monocultures de Douglas, en lignes droites, un peu à la manière d’une culture agricole. A 45 ans environ, la parcelle est “récoltée” avec des machines. Outre l'enjeu de produire du bois made in France, la filière bois représenterait entre 5000 et 6000 emplois dans ce coin où les boulots se font rares. Et elle compte tripler la production de douglas d'ici quelques années au niveau national.
Mais aujourd'hui dans le Morvan, la fronde prend de l’ampleur. De plus en plus d’habitants ne supportent plus les plaies béantes dans le paysage laissées par les "coupes rases". Les opposants à la monoculture d'arbres dénoncent “l’enrésinement” du Morvan et la “malforestation” de leur territoire . Ils alertent sur une potentielle perte en biodiversité dans ces cultures où ne pousse qu’une seule espèce d’arbres et sur le chamboulement pour l’écosystème que représenteraient les coupes rases. La colère est telle qu’il y a quelques années, un commando de saboteurs, masqués et de nuit, avait même été arracher des petits Douglas tout juste plantés sur des parcelles forestières. Pour Sylvain Angerand, coordinateur de l’association écologiste Canopée : “Ce qui se passe aujourd’hui dans le Morvan est une alerte pour l’avenir des forêts” partout en France.
En face, les exploitants forestiers dénoncent des accusations "dogmatiques". Pour nombre d’entre eux, ce résineux est tout simplement un “arbre magique”. De fait, il est économiquement plus intéressant que les autres essences : il pousse vite et bien (40 à 50 ans contre plus de 100 ans pour un chêne), droit, et son bois est de qualité et imputrescible. Sa structure simple rend son exploitation mécanisable. L’essence parfaite pour satisfaire une demande en bois made in France grandissante pour fabriquer des bâtiments “durables” de plus en plus plébiscités. “Et puis, c’est simple, son exploitation crée des emplois dans ce territoire rural en difficulté”, assène un gros exploitant forestier.
Mais face au réchauffement climatique, les forêts mélangées, mêlant différentes essences à différents âges si possible, semblent pour tout le monde être l'idéal. Plus ou moins inatteignable selon les opinions.